Pierre SCHWARZENBACH

Exposition du 30.11 au 11.12.2021

Vers l’art post-concret 

L’œuvre de Pierre Schwarzenbach a un point commun avec l’art concret : l’abstraction, le minimalisme et le recours à des moyens picturaux concrets tels que les surfaces, les lignes, les rectangles ou les cercles. Mais ce qui le distingue des artistes concrets zurichois, c’est la matérialisation des émotions. La retranscription des sentiments est plus importante pour lui que la rigueur. C’est pourquoi ses compositions sont exemptes de tout dogmatisme. Si ses peintures étaient de la musique, on noterait parfois de fines dissonances harmoniques délibérément créées. Il modifie ses compositions, méticuleusement et en toute tranquillité, jusqu’à ce que le jeu du poids et du contrepoids dissolve les ordonnances du haut et du bas. Dans sa peinture, on remarque un penchant pour l’expressionnisme abstrait par sa profondeur spatiale, bien qu’il échappe à cette classification traditionnelle de l’histoire de l’art, d’où le terme post-concret.

Tout au plus, il y a des références à l’expressionnisme abstrait avec une spatialité parfois bidimensionnelle. Son terme générique de “post-concret” est toutefois pertinent dans la mesure où il marque le passage du connu à l’inconnu, laissant une ouverture. L’œuvre de Schwarzenbach est une antithèse à peinture informelle du milieu du XXe siècle. Tout comme les Concrétistes zurichois, notamment Richard Paul Lohse, qui ont défendu un postulat sociopolitique, Pierre Schwarzenbach a également une préoccupation philosophique : “Je veux contrer les impulsions de plus en plus bruyantes et brutales de l’ère numérique par le calme et la délibération. Avec chaque tableau, j’invite le spectateur à une contemplation tranquille”, explique l’artiste. “En ce sens, ma peinture post-concrète est une peinture méditative, un constructivisme poétique.”

Pierre Schwarzenbach a acquis dès l’enfance sa sensibilité à l’égard de la matière, grâce à son héritage familial dynastique dans l’industrie de la soie, et l’a ensuite développée à la Fachhochschule Niederrhein, de Design textile, à Krefeld. Il a mis sa sensibilité pour les matériaux et les surfaces au service des entreprises de soie en tant que Directeur Artistique chez ABRAHAM, et plus tard dans le pôle textile de HERMÈS (Paris) en travaillant avec YVES SAINT LAURENT et d’autres grands noms de la haute couture.

Le clair-obscur, la lumière et l’éclat, auxquels il laissait jadis libre court sur les podiums de la haute couture, ont perdu de leur volupté et gagné en profondeur dans son art. La sensualité picturale en tant que surface de méditation est au cœur de ses préoccupations.

Pierre Schwarzenbach a appris les techniques de l’art dans l’atelier de l’artiste zurichois Klaus Däniker (1930 – 2009). Son mentor l’a initié à toute une gamme des techniques et l’a encouragé à expérimenter de nouveaux matériaux. C’est pourquoi aucun terrain et aucun support de peinture ne lui est étranger aujourd’hui. Une recherche de surfaces toujours plus profondes, emmènent Pierre Schwarzenbach à travailler entre autres avec des pigments rares, du graphite, du sable, de la cire ou du vernis. Les feuilles d’or qu’il utilise parfois sur le fond ses tableaux, viennent rehausser l’éclat avec douceur. Ce que d’autre artistes ont réussi à accomplir avec la peinture à l’huile, Pierre le fait avec l’application de pigments avec une technique qui lui est propre. Son secret réside dans les nombreuses couches de peinture qu’il applique de manière consciencieuse et qui viennent refléter la lumière et créer des effets de couleur d’une grande subtilité. De même que pour un procédé d’impression couleur, le noir ou le blanc sont des couleurs clés pour le contraste dans cette technique de peinture. Selon l’interaction avec la luminosité de la pièce dans laquelle l’œuvre est installée, l’intensité des couleurs varie. 

Le chemin de l’artiste vers l’art post-concret mène parfois à des images purement monochromes. Celles-ci aussi rompent avec la tradition. Ce n’est pas le geste du pinceau qui les distingue, mais une structure très sensible, légèrement modulée, qui exerce une attraction presque haptique sur le spectateur. Le philosophe Edmund Husserl, en mentionnant l’effet de la soie, disait que bien qu’elle soit visuellement suggérée, la douceur ne peut pas être vue, mais peut être ressentie, “visualisée”. La sensation ou la perception tactile joue un grand rôle à cet égard, pour autant qu’elle accompagne toutes les perceptions sensorielles. 

Les concrétistes de Zurich sont différents. Ils se caractérisent par une succession d’œuvres en série, dans un système cohérent. En tant qu’ancien designer textile, l’artiste connaît également la répétition. Mais il résiste à la tentation d’un “marquage” artistique induit par un système rigide. Pour lui, chaque œuvre est une nouvelle aventure. Néanmoins, il fait preuve d’une rigueur et d’une cohérence picturales dans son expression – sa signature reste reconnaissable.

Yves Schumacher

Écrivain et ancien président des Musées de Zürich (Zürich, mars 2017)

https://www.pierre-schwarzenbach-art.ch/de/